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Merveille n°19 : Luc Ferry (1)

Bonjour à tous !

Une amie m’a conseillé d’écouter les podcast de Luc Ferry cette semaine. Et quel cadeau !

Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation Nationale agrégé de philosophie, a réalisé 4 séries d’audios pour expliqué la philosophie à sa fille. C’est à la fois d’une profondeur abyssale, et d'une simplicité renversante !

Alors je vous reporte ici les propos de sa première série (les trois suivants viendront dans les semaines à venir…). Bonne lecture !





A l’origine, qu’entendait-on par « philosophie » ?


Luc Ferry commence par expliquer qu’à l’origine, la philosophie n’est pas une discipline scolaire mais un apprentissage de la vie, à exercer en permanence. Il définit ensuite les grandes philosophies comme de grandes doctrines du salut sans dieu, ce qui les différencient des grandes religions.


Dans l’Antiquité grec, le salut consiste à être sauvé des peurs qui nous empêchent de vivre. Les premiers philosophes distinguent quatre grandes peurs :

1 - la peur face au danger réel (guerre, attentat, tempête, tsunami…)

2 - la peur sociale, par exemple dans une foule de personnes inconnues (gêne, sentiment de malaise…)

3 - la peur d’origine psychique (du noir, du vide, de l’avion, de l’ascenseur…)

4 - et la peur de la mort. La peur du « plus jamais ». De l’irréversible au cœur de la vie. Sur lequel nous n’avons aucune prise. Une peur qui est à la source de toutes les autres.


La peur de la mort… Doit-on en avoir honte ? Faut-il voir cela comme quelque chose d’égoïste ? Avoir peur de sa propre mort ? Non, car elle est souvent accompagnée par la peur de la mort… des autres. Des êtres qui nous sont chers. Mais alors sans religion, comment faire le deuil des personnes que l’on aime ? Comment se réconcilier avec l’idée de la mort ?


« Il faut avant tout chasser et détruire cette crainte de la mort, qui pénétrant jusqu’au fond de notre être, empoisonne la vie humaine, colore toute chose de la noirceur de la mort, et laisse subsister aucun plaisir limpide et pur. » (Lucrèce)


Donc ! La philosophie, à l’origine, c’est : comment surmonter ses peurs, et notamment sa peur de la mort.


Les philosophes considèrent que cela se fait (non pas par un dieu, en s’en remettant à lui) mais par sa raison, en affrontant avec lucidité la finitude humaine. Nous avons ici les deux mêmes interrogations, mais avec des réponses opposées : par un dieu et par la foi d'un côté ; par la raison et par soi-même de l'autre.


La philosophie apparaît alors comme arrogante. Orgueilleuse. Elle donne à l’homme la prétention de vouloir s’en tirer par lui-même, au lieu de s’en remettre humblement à un autre.


Le stoïcisme


La première philosophie comme doctrine du salut sans dieu, abordée par Luc Ferry, est le stoïcisme. Elle s’étend de son père fondateur Zenon (IVème siècle avant J-C), à Marc-Aurèle (IIème siècle après J-C). Il explique que celle-ci repose sur trois grands axes :


I- LA THEORIA (comprendre le monde, le terrain de jeu)

II- L’ETHIQUE ou LA MORALE (comprendre les règles de jeu entre les individus, la place de chacun sur le terrain)

III- LE SALUT (le but, le sens du jeu)


I- THEORIA


Pour les stoïciens, le monde est un cosmos. Un organisme vivant, harmonieux, logique, où tout est à sa place. Rien de mieux qu’un œil pour voir, qu’un poumon pour respirer… c’est magnifique ! (et cela n’a pas été inventé par l’homme). Ce cosmos, merveilleusement bien fait, est un "divin" ancré dans le monde.


Et il faut contempler ce cosmos, tenter d’en observer les merveilleux rouages en utilisant les sciences, mais sans s’y réduire pour autant (le monde dépasse parfois la compréhension que l’on pourrait en avoir).

  

II- LA MORALE


Il faut trouver sa place, sa fonction dans ce cosmos naturellement si bien organisé. S’ajuster. Ici réside tout le travaille du juge (remettre chacun à sa place, rétablir ce qui est contraire à l’ordre), tout le travail du médecin (réparer un organe qui ne remplit sa fonction naturelle, sauver d’un accident) ou d'un gouverneur (faisant en sorte que la cité imite l’ordre parfait du monde).


Dans les écoles grecs, il ne s’agissait pas que de parler pour comprendre les choses, il s’agissait aussi de les vivre. Un exercice de moral consistait, par exemple, à traîner un poisson mort, en laisse, sur la place du marché à Athènes. Tout le monde se moquerait, vous considérerait comme fou, et il faudrait parvenir à se détourner du regard des autres. Selon les stoïciens, c’est le premier pas pour réussir à se tourner vers les choses justes : n’accorder aucune importance aux « qu’en dira-t-on ? » (car ce qui est juste n’est pas nécessairement ce que la foule/les autres/la majorité considère comme juste).


III- LA QUESTION DU SALUT


Pourquoi essayer de contempler le monde ? Et pourquoi essayer de s’y ajuster ?

Pour surmonter la mort, pour le salut !


Le stoïcisme formule trois façons de surmonter la mort :


a) Avoir des enfants. La descendance.

On retrouve chez ses enfants le nez d’un grand-père, le trait de caractère d’une mère… Il porte quelque chose de nous en eux. Il y a alors quelque chose de soi qui perdure par-delà la mort.

Néanmoins, c’est une maigre consolation… Car généralement lorsque l’on a des enfants, l’angoisse de la mort (perdre l’un d’eux, ou mourir soi-même les laissant sans parent) devient d’autant plus forte.


b) Être héroïque au point de devenir l’objet d’un ouvrage d’Histoire.

Le cosmos est éternel. Les cycles naturels sont éternels. Ils se répètent assez souvent pour qu’on ne les oublie jamais (on ne risque pas d’oublier que le printemps vient après l’hiver).

En revanche, le monde humain est périssable. C’est le monde de ce qui disparaît sans cesse. Nos paroles sont volatiles, mais ce que l’on écrit reste un peu plus ! L’écriture est alors à employer comme un outils afin de presque égaler la pérennité de la nature. Afin de survivre à soi-même, et d’une certaine façon, surmonter la mort.


c) Considérer la mort comme une part de ce cycle naturel.

Si l’on réalise que le monde est un ordre, et si l’on réussit à s’y ajuster, alors on comprend que la mort n’est qu’un passage. Nous sommes un fragment de ce cosmos, nous sommes nous-même éternels.

La mort n’est que la transition d’un état à un autre. Une idée que l’on retrouve un peu dans l’écologie contemporaine (rien ne se perd, tout se transforme), ou dans d’autre tradition (par exemple le bouddhisme).


Pour allez plus loin sur le stoïcisme


Au-delà de ces trois grands axes, abordons deux autres idées majeures de ce courant (pour essayer de comprendre pourquoi il a fait échos chez un si grand nombre de disciples).


1 - Le stoïcisme repose en partie sur l’idée du non-attachement. Il faut apprendre à se détacher de tout, y compris des personnes que l’on aime. Lorsque tu embrasses ta femme, pense qu’elle pourrait mourir demain. Cela ne signifie pas qu'il faut être indifférent aux autres (les stoïciens plaçait l’art de l’amitié au dessus de tout!!) mais vivre dans la conscience très forte que tout passe.


2 - Une autre idée cruciale du stoïcisme est qu’il existe deux grands maux qui pèsent sur la vie humaine : le poids du passé et le poids du futur. D’un côté, la nostalgie des moments de bonheur, les remords, les regrets, et la culpabilité. Et de l’autre, l’espérance (qui étonnamment pour les stoïciens est un immense malheur). Selon eux, l’espoir nous fait passer à côté du présent. On imagine le futur, on se projette, et on manque ce qu’il y a sous nos yeux. L’espoir ne pousserait alors pas à mieux vivre le présent, mais nous en priverait.


En bref, le passé et le futur sont des non-êtres ; donc il faudrait apprendre à vivre en regrettant un peu moins, en espérant un peu moins, et en aimant un peu plus ce que l’on a maintenant. Les personnes présentes à nos côtés. Et le monde qui s’offre à nous.


En réaction à cette idée, de nombreuses critiques vont s’élèver, comment aimer ce monde ? Où il y a des génocides, des guerres… Non, il ne faut pas l’aimer ce monde, il faut se résoudre à l’améliorer. Deux attitudes vont alors s’opposer (et traverser toute l’histoire de la philo) : aimer le monde tel qu’il est, ou bien tenter de le transformer.


Luc Ferry donne un exemple tout simple à sa fille pour tenter de lui faire comprendre ces deux visions :

« Quand nous partons à la mer, que nous enfilons nos masques et nos tubas pour admirer les fonds marins, pour observer cet univers magnifique, ses poissons, ses couleurs, ses plantes… Nous adoptons une position profondément stoïcienne. Il n’y a plus de passé, plus de futur ; nous sommes simplement présent, dans une attitude de réconciliation avec le monde. Nous plongeons dans cette eau, non pour la transformer mais pour l’aimer. En revanche, quand on est ministre de l’Éducation Nationale… on est dans une attitude de transformation. On espère, on regrette, on aurait pu faire mieux, on voudrait faire plus. On tente de transformer le réel, de le rapprocher d’un idéal. »


Ce qui est très fort chez les stoïciens (là où, à mon avis, ils ont raison), c’est qu’ils considèrent… que nous ne sommes vraiment heureux que dans ces moments de grâce. Dans ces moments de réconciliation avec le monde. De paix. De sérénité. C’est là que les peurs disparaissent. Les deux foyers majeurs de la peur (le passé et l’avenir) ne sont plus. On est vit un « instant d’éternité ». Détaché de tout et réconcilié avec ce tout.


Le Christianisme


Cette doctrine du salut s’est ensuite effondrée et a été remplacée, dès le llème siècle après Jesus Christ, par la doctrine chrétienne. Les chrétiens donnent une nouvelle définition au divin. L’ordre harmonieux du monde devient l’œuvre d’un dieu s’étant incarné sur Terre, à qui il faut faire confiance.


Aussi, ils défendent une nouvelle définition de la vertu.

Pour les grecs, la vertu tient aux dons naturelles, aux talents naturelles. Un œil est par exemple, ni myope ni presbyte, remplit parfaitement sa fonction. Il est vertueux par nature. Il en est de même chez les hommes. Les meilleurs par nature doivent être en haut, et ceux qui sont considérés inférieurs doivent être en bas (esclaves). Il y a ainsi une hiérarchie naturelle des êtres humains. Le cosmos est un monde foncièrement hiérarchisé.


C’est ici que les chrétiens vont inventer une nouvelle morale : la vertu ne réside pas dans les talents naturelles, mais dans l’usage que l’on en fait. Tous les talents (la beauté, la force, l’intelligence...) peuvent être mis au service du bien ou du mal, preuve que la vertu ne réside pas dans les talents eux-mêmes, mais dans la façon dont on les utilise. Toutes les créatures se valent, et sont libres d’user de leur dons pour le meilleur ou pour le pire. Cela est incompréhensible pour les grecs, et constitue cependant le fondement de nos droits de l’Homme. C’est un héritage chrétien incontestable.


Enfin, les chrétiens croient en une toute autre conception du Salut, qui passe par la résurrection. Il devient possible de retrouver, après la mort, ce que l’on aime. L’ amour qui était un problème chez les stoïcien (parce qu’il nous pousse à l’attachement de personnes périssables) n’est plus quelque dont il faut se méfier. On peut alors aimer et ne plus avoir peur de la mort : elle est une entrée dans la vie éternelle promise par le Christ.


C’est ainsi que la philosophie, au fil des siècles, « perd sa place » en tant que doctrine du salut. Elle perd peu à peu cette dimension « d’apprentissage de la vie », de recherche de sagesse. Aujourd’hui, nous employons généralement le terme « philosophie » en référence à une matière scolaire, avec des notions, un programme, pour exercer sa raison, sa réflexion, son esprit critique…


Mais si l'on repensait le mot philosophie comme avant… Quelle serait votre philosophie de vie ?


Belle semaine !


En espérant que vous viviez, par ci par là, des petits moments d’éternité :-)


Tess

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