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Merveille n°20 : En ce temps-là, l’amour.

Un homme enregistre sa voix sur des cassettes. Il raconte son séjour dans le train vers les camps de concentration, et tout particulièrement sa rencontre avec un père et son fils.


Ce père en question l’a marqué. Profondément marqué. Il voulait faire découvrir à son fils le plus de choses possibles, en sept jours de trajet.


Sept jours, pour concentrer toute une vie.


Du français aux mathématiques, en passant par quelques notions de physique, de géographie ou d’économie politique. Tout y passe ! Une balade en forêt, une première fois à la mer, Mozart, Shakespeare…


Alors que l’on pourrait s’attendre à un récit reflétant le pire de ce dont l’homme est capable, nous découvrons une pièce qui célèbre tout ce qui peut y avoir de beau et de poétique dans une vie humaine.


Allez-y sans hésiter ! Il reste 3 dates : les mercredis 14, 21 et 28 février, au théâtre de la Madeleine ! Et vous pouvez aussi trouver le texte en ligne !




SPOILER ! Voilà quelques uns de mes passages favoris :


« - Bon alors… tu vas me préparer, voyons… une rédaction sur… sur, disons, une promenade en forêt au printemps.

 - Une branche, ankylosée par le long sommeil de l’hiver, se redresse un peu sous la caresse du soleil en faisant craquer ses jointures.

 - C’est bien… Très bien, mon fils, très joli cette image. Il faut, avant tout, je crois, mettre l’accent sur l’explosion de vie qui caractérise le printemps : les fleurs qui explosent, les bourgeons qui éclatent. Est-ce que tu sens comme il y a dans la lettre P, cette image sonore de l’explosion ? Ppe ! Ppe ! Alors sers-t’en. Sers-toi de mots qui la contiennent : pétales, pollen, pâquerettes, primevères, pulpes, palpite, papillon… Et puis, pense aux sons liquides, qui traduiront la sensation des ruisseaux qui se forment après le dégel et qui se frayent leur chemin sous les herbes : sourdre, ruisseler, clapotis, ombres, arbres… Tu entends le frissonnement des feuilles ? Arrrrbbrrree ! Arbre en français ne peut être que doux… Les branches trrremblent sous le vent. Ce n’est pas du tout le Baum allemand. Le Baum ne peut être que le chêne. Et la lumière ! Sers-toi de la lumière !

 - Un écureuil gambade aux pieds d’un frêne à la poursuite de l’ombre zigzaguante d’un papillon… »


« La mort n’est qu’une absence de vie momentanément mon fils. Elle finit toujours par être vaincue. Il y aura toujours une explosion de vie qui renaîtra quelque part ; un brin d’herbe qui repoussera entre les dalles de béton après les bombardements. Tiens, si nous tous, nous mourrions ici à l’instant, la vie ne s’arrêterait pas pour autant. Tu vois, là - et il désigna le tas de merde dans le coin - la vie se cache, tapie, secrète, mais elle est là. Le moment venu, elle réapparaîtra - petitement d’accord - elle repartira, modestement d’abord, rampante bien sûr ; mais elle progressera, se diversifiera, s’élèvera, comme elle s’est élevée et diversifiée depuis les premières amibes jusqu’à… jusqu’à La critique de la raison pure ! Jusqu’à… jusqu’à Mozart ! La ci darem la mano…

Tout à coup, il se mit à chanter… à chanter ! Don Juan ! Mozart ! Là, dans ce wagon de la mort…

Vieni, vieni… Tu te rends compte, disait-il, tu te rends compte… du mollusque à ça ! Andiam andiam mio bene… Quelle ascension vertigineuse, non ? Du lichen qui s’accroche au rocher à… à… à Shakespeare ! »



« Mon fils, il serait temps de parler de la liberté ! (…) Qui peut se dire libre alors que nous naissons à une époque que nous n’avons pas choisie, dans un pays que nous n’avons pas choisi, dans une famille, une religion, une culture, que nous n’avons ps choisies et qui nous déterminent ? Est-ce que je suis libre de penser que la somme des angles d’un triangle n’est pas égale à 180 degrés ? Non… bien sûr que non. Est-ce que, quand j’ai rencontré ta mère vendant ses petits pains au marché avec son fichu d’où dépassaient deux petits bouts de nattes blondes, est-ce que j’étais libre de ne pas tomber aussitôt amoureux d’elle ? Est-ce que j’étais libre de ne pas penser à elle jour et nuit ? Non, non, non ! Et quand toi tu es né, est-ce que j’étais libre de ne pas sauter de joie, de ne pas courir dans toutes les rues du village pour proclamer la grande nouvelle : mon messie à moi est arrivé ? Est-ce que je suis libre de ne pas t’aimer ? De ne pas grelotter si tu as froid ? De ne pas chanter si tu souris ? Non.

Il faut bien pourtant qu’il y ait une liberté quelque part ! (…)

Écoute, écoute bien. Le malheur me frappe ; qu’est-ce que je fais ? Je pleure. Le malheur me frappe, je pleure. Le malheur me frappe, je pleure. Mais d’un coup, le malheur me frappe… je ris ! Je casse la chaîne ! Le rire casse la chaîne, casse les chaînes ! Deux voies d’accès à la liberté. On en tient une : l’humour ! La possibilité de se détacher de la condition humaine ! »



« - L’amour… l’amour… l’amour évidemment ! C’est ça qui, à coup sûr, fait de vous un homme ! (…)

Mon fils, ne crois pas tous ces bigots, tous ces papelards qui voudraient te faire honte de ces émois qui frissonnent en toi, de cette rage et de cette langueur qui, tout à tout, te font défaillir. Ces humeurs qui perturbent ton sang, ces liqueurs qui bouillonnent en toi et qui te mettent le feu au ventre, c’est la vie, c’est la vie en toi qui veut éclater !

Allons, s’écria-t-il d’une voie joyeuse - joyeuse oui. Allons, dit-il en secouant le garçon, il n’est plus temps de dormir, mon fils, nous allons te marier. (Fou, il est vraiment fou !) »

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